Petite histoire du jeton à travers ses usages, par Gerard Krebs


Les jetons forment l’un des aspects de la numismatique. Ils n’avaient pas de valeur monétaire mais leur aspect est le plus souvent comparable à celui des monnaies : un petit disque de métal portant généralement une légende sur son pourtour.
A l’origine, les jetons servent à compter. Puis leur usage se diversifie : gratification pour les étrennes, commémoration d’un évènement historique, voire vecteur de propagande. La mode du jeton est à son comble sous Louis XIV. De plus en plus d’occasions sont prétexte à émettre des jetons, y compris pour déclarer son amour à la belle de ses pensées !
La Révolution marque la fin du jeton d’état, instrument de la royauté. Le 19° siècle popularise les jetons de présence distribués par de très nombreuses sociétés.

Quand le zéro n’existait pas

Dans l’empire romain, on utilise pour faire les comptes un principe similaire à celui du boulier chinois. Au lieu de boules coulissant sur une tige, ce sont des cailloux ou des disques en os que l’on place dans des cases. A partir du 13° siècle, ces cailloux sont remplacés par des jetons disposés sur une « table à compter » ou abaque.
Cette méthode perdure plus ou moins inchangée pendant toute la période royale car :
– Les chiffres arabes commencent à se diffuser après les Croisades. Mais les chiffres romains, qui ne comportent pas de zéro, sont encore la norme au 16° siècle. Et les administrations les plus conservatrices les utilisent jusqu’à la Révolution !
– le système monétaire est duodécimal : une livre valant 20 sous et chaque sou 12 deniers.
Ainsi, même une simple addition ne peut être faite sur papier…

Moyen-âge : un instrument de compte

Jeton au type gros tournois
Jeton au type gros tournois

Le jeton métallique est sans doute une invention française. Il sert en particulier aux administrations financières du roi, pour contrôler les comptes du domaine royal.
Les premiers jetons ne portent pas de légende. Puis, l’usage des jetons devenant de plus en plus populaire, les graveurs s’inspirent des monnaies existantes en ajoutant des légendes pieuses.
Par opposition aux jetons frappés pour l’usage exclusif d’une administration ou d’une maison princière, on appelle jetons « banaux » ceux destinés aux particuliers. Ils servent prioritairement pour faire les comptes mais probablement aussi pour le jeu.

La fabrication des jetons n’est pas libre : il faut d’abord obtenir une autorisation, faire réaliser les coins par un spécialiste patenté (graveur, orfèvre) et les faire frapper dans un atelier royal, dont le principal est Paris. A la fin de la guerre de Cent Ans, la production des jetons parisiens est reprise à Tournai. Mais la ville, éloignée du pouvoir royal, ajoute à sa production officielle des émissions de masse : jetons banaux que la bourgeoise commerçante réclame de plus en plus. Ils reprennent les types précédents mais avec une exécution moins soignée.

Renaissance : de nouveaux usages

Jeton de Louis XIII
Jeton de Louis XIII

Quelques décennies plus tard, la ville allemande de Nuremberg vient supplanter Tournai qui ne frappe plus de jetons à partir de sa conquête par Charles Quint en 1521.
Les ateliers royaux ont des difficultés à fournir toutes les administrations qui se mettent à vouloir des jetons personnalisés. Avec l’accroissement du commerce, le besoin en jetons se développe fortement et les particuliers se tournent vers la production de Nuremberg.

Les grands personnages suivent le mouvement et souhaitent également avoir leurs propres jetons.

Par ailleurs, les jetons royaux commencent à acquérir un rôle nouveau : celui d’une petite médaille, commémorant les évènements marquants. Cela entraine une évolution dans la composition notamment

des revers où le sujet et la légende se complètent.

17° et 18° siècles : l’apogée

Sous Louis XIV, le jeton est conçu pour servir la propagande royale. La série de jetons frappés par les grandes administrations est clairement envisagée comme une chronique du règne, destinée à traverser les siècles… La mode du jeton se diffuse également dans la noblesse et les corporations.

Les jetons royaux sont le plus souvent offerts comme étrennes. Ils évoquent les faits notables de l’année qui vient de s’écouler : victoires, traités de paix, grands travaux… On y fait figurer des légendes pleines d’esprit imaginées par les membres de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

A partir de 1672, la fabrication des jetons est réservée au balancier du Louvre, l’importation de jetons étrangers est prohibée. Mais cette interdiction reste lettre morte… et Nuremberg continue d’inonder le marché français avec des jetons banaux de plus ou moins bonne facture.

19° et 20° siècles : derniers avatars

Jeton de la Compagnie générale transatlantique
Jeton de la Compagnie générale transatlantique

Après la Révolution, le jeton se privatise et devient « jeton de présence ». Le plus souvent en argent, il sert à rétribuer la participation des actionnaires aux assemblées générales. Les banques et les assurances notamment en émettent beaucoup, gravés par des artistes de renom.

Pour le grand public, les jetons sont aussi utilisés comme supports publicitaires et encore quelquefois comme vecteur de propagande.

En conclusion 

Le jeton a une histoire respectable de près de 7 siècles. Il est au début un modeste instrument de compte, puis de plus en plus populaire, il offre une iconographie très variée.
A côté des jetons banaux de fabrication allemande de qualité inégale, les jetons royaux sont de petites œuvres d’art, frappées avec soin. De la Renaissance à la Révolution et particulièrement à l’époque de Louis XIV, ils sont les témoins des grands évènements historiques du temps. A ce titre, ils méritent d’être regardés attentivement pour en apprécier tout le sens !

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A lire ou consulter sur le sujet (des rééditions existent):

Blanchet et Dieudonné «Manuel de Numismatique Française », tome III : médailles, jetons, méreaux ; Paris 1912-1936
Collection Feuardent « Jetons et méreaux depuis Louis IX jusqu’à la fin du Consulat de Bonaparte » 1904
Pour les jetons du Moyen-âge : catalogue de la collection Rouyer « Jetons et méreaux du Moyen Age » (Bibliothèque Nationale 1899)

Un commentaire

  1. Je tiens à vous féliciter pour la qualité de votre article en espérant que cela permette de décloisonner ces petits trésors historique du simple champ numismatique.

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